Hans Koch
Le soleil matinal baigne agréablement le lobby de l’hôtel Cornavin, en ce dimanche matinal et bien frileux. Hans Koch m’attend, en avance sur l’horaire prévu. La politesse des rois. Difficile à dissimuler, dans une telle lumière, son oeil, le gauche, rouge sang, d’une étrangeté redoutable dans son regard bienveillant. Il s’empresse d’expliquer : non pas un look à la David Bowie, mais bien un choc. Une veine éclatée dans son oeil. La veille au soir, au Sud des Alpes, avec Jonas Kocher et Frantz Loriot, le concert fût magique. Ecoute et complicité.
Peux-tu nous parler du trio Koch-Kocher-Loriot ?
Je joue depuis longtemps avec Jonas Kocher, biennois comme moi, et j’aimais beaucoup la démarche de Frantz Loriot. Nous l’avons invité lors du Festival «Concepts of Doing», Herrischried, en juillet 2020. Des concerts et un disque ont suivis. Pour le concert d’hier soir, nous n’avons rien anticipé, sommes monté sur scène et avons joué. Je ne suis plus intéressé à démontrer que je sais jouer, bien que j’aie beaucoup travaillé plein de musiques différentes. Je me sens libéré de jouer de cette façon. Travailler des pièces écrites, difficiles, m’a appris beaucoup, mais je ne veux plus le stress de les jouer en concert. J’ai laissé tombé tout cela. L’important en concert, pour moi aujourd’hui, est de communiquer, de parler. La technique ne compte pas. Je joue ce qui sort. Si cela me plaît, tant mieux, s’il y a des accidents, on apprend de ce qui se passe. J’ai trouvé le concert d’hier soir bon, le public exceptionnellement attentif et nombreux, pour une musique exigeante.
Tu as été musicien d’orchestre symphonique pendant longtemps. Est-ce que jouer avec Cécil Taylor, Paul Lovens ou Fred Frith a été une rupture ou un prolongement logique?
J’ai d’abord été un fan de jazz, depuis l’âge de douze ans, collectionnant des vinyls. Dixieland. Swing. Comme je ne trouvais pas de musique plus récente à Bienne, j’explorais les disquaires de Genève, de Bâle, jusqu’à Paris, pour trouver d’autres musiques. Ma collection approche trois milles disques. J’ai écouté. J’ai essayé de copier cette musique. Coltrane, Braxton, Sun Ra, Joe Henderson. Puis je me suis dit : « C’est leur langage, pas le mien. » Je peux analyser comment ils ont conçu cette musique, mais je ne veux pas la copier. Un jour, Urs Blöchlinger me demande de jouer de la clarinette basse avec lui. Tout a commencé et s’est enchaîné ainsi : Peter Schärli, le quintet Popolien, Marco Käppeli Connection, j’étais dans tous les orchestres. Bientôt, cela m’a ennuyé. J’étais le clown free jazz de ces orchestres. J’ai tout arrêté. Je me suis concentré sur le trio Koch-Schütz-Käppeli, remplacé bientôt par Fredy Studer. Trente ans à jouer ensemble. Une famille. Parfois trop rock’n roll, mais une famille. Nous étions les premiers à jouer avec des ordinateurs. Atari labtop 2040.Sound-check de cinq heures.
Tu as entamé également une carrière de free-lance international.
J’ai eu la chance de vivre d’une carrière de free-lance depuis que j’ai arrêté l’orchestre. Le point de départ a été le Big Band de Cecyl Taylor. Tous ces musiciens que j’écoutais à la maison étaient autour de moi : Han Bennink, Tony Oxley, Hannes Bauer, Peter Brötzmann... S’en sont suivis de nombreuses tournées en duo avec Louis Sclavis, Wolfgang Fuchs, Evan Parker, Barry Guy, Paul Lovens.
Tes compositions ont une place très importante dans les premiers disque du trio Koch-Schütz-Studer
En effet. Pour les deux premiers albums de Koch-Schütz-Käppeli j’ai amené un grosse part des compositions. Il y eu deux éléments moteurs. En premier, alors que je voulais nous adjoindre un trombone, Fredy Studer a voulu un ordinateur. C’était totalement nouveau à l’époque. En second, Naked City, de John Zorn m’a fait concevoir qu’on pouvait faire des pièces très courtes, avec des contrastes insensés de rapidité. Comme la mémoire des disquettes était très petite, j’ai enregistré des échantillons de une à deux secondes. Musique Pop, Hip-Hop, j’ai exploré. Beaucoup de travail. Et beaucoup de succès. Je ne me considère pas comme un compositeur : j’essaie, j’écoute et je change ce qui ne plaît pas. Si tu entends Ornette Coleman ou Henri Threadgill parler de leurs manières de composer, tu peux comprendre leurs mots, mais tu ne comprends pas vraiment ce qui se passe dans leur musique. Ma façon de composer pour les films ou les pièces radiophoniques est la même. J’essaie, je me trompe, je change. L’oreille est maîtresse.
Tu enseignes très peu. Que dis-tu à tes rares élèves ?
J’ai peu enseigné en effet, je me trouve pas un très bon pédagogue et je n’en ai pas eu la nécessité. J’enseigne un peu à de jeunes adultes. La difficulté dans l’improvisation, c’est le jugement que les élèves portent sur leur jeu. Abruptement, je leur demande parfois de jeter une chaise dans la salle pour commencer les premiers sons, d’écouter, sans a priori, puis de jouer. Ils écrivent également des compositions graphiques, que l’on joue ensemble. On écoute beaucoup de musique contemporaine. Que leur en restera-t-il ? Je ne sais pas.
Pourrais-tu donner quelques disques phares de ta discographie ?
Le premier du trio Koch-Schütz-Suder, « Hardcore Chamber Music ». Un peu avant ça : « The Art of The Staccato », du même trio avec Käppeli, et plus récemment « Lufft » ainsi que les duos avec Louis Sclavis et Evans Parker.
Dirais-tu que ton art a une portée politique ?
Je suis intéressé par la politique mais ne veux pas mettre cela en avant lorsque je joue. Ce que j’exprime en faisant ma musique a c’est de jouer simplement le langage que j’ai développé pendant des années et que je continue de développer. Dans le monde que nous vivons actuellement, c’est peut-être politique.
Quelques mots sur la naissance de Joyfulnoise qui jouera en avril au Sud des Alpes le 30 avril ?
En 1988, nous étions à New-York avec Martin Schütz, jouant avec beaucoup de gens connus, Andrew Cyrille, Butch Morris, Tom Korra et bien d’autres. En rentrant à Bienne, c’était bien calme. Nous avons donc organisé chaque jeudi des concerts avec des musiciens et musiciennes de la région, pour explorer le potentiel des gens intéressés. Ceci est devenu, avec l’appui de la Ville de Bienne qui nous a approché et subventionné, l’association Joyfullnoise. Nous sommes vingt-deux. Le Joyful Noise Orchestra se réunit tous les deux ans, en alternance avec le Joyfulnoise Labor, à géométrie variable, comptant environ dix musiciennes et musiciens. Joyfullnoise à la Cave du Sud des Alpes sera de cette taille, la cave est petite et intime. On se réjouit d’y jouer.
On se réjouis de vous y entendre. Merci infiniment Hans Koch.
Yves Massy
Cet article est paru dans le journal Viva la Musica