Contributrice au rapport « Swiss Energy System 2050 » des Académies suisses des sciences, Isabelle Stadelmann s’interroge sur l’adhésion de la population aux mesures nécessaires à une transition énergétique.
Vous êtes professeure de politique comparée à l'Institut des sciences politiques de l'Université de Berne. Pourquoi la politique énergétique ?
J’ai commencé à travailler de manière comparative sur les institutions, les attitudes et les opinions du public dans des domaines comme la politique familiale ou la démocratie directe. La politique énergétique m’a intéressée, car nous votons régulièrement en Suisse sur ce sujet. J’ai commencé en 2014 une recherche sur l’acceptation des politiques en matière d’énergie, particulièrement celles qui vont dans la direction de la transition énergétique. Des solutions existent dans ce domaine depuis des années, mais elles ne seront pas appliquées sans cette adhésion. C’est ce qui m’intéresse actuellement : comment faire pour que l’on accepte l’urgence du sujet, mais aussi les solutions existantes.
Le rapport auquel vous avez participé pointe que les incitations, l’établissement de standards d’efficacité, la définition de limites d’utilisation, sont mieux acceptées que les strictes interdictions.
Je n’ai pas de réponse claire sur ce qui est accepté ou non dans ce domaine. On pensait théoriquement qu’une redistribution à la population d’une taxe sur le CO2 serait acceptée facilement. Ce n’est pas le cas. Personnellement je me demande si des interdictions plus strictes et claires ne seraient pas plus réalistes que des mesures souples.
Le sentiment de justice sociale pourrait rendre ces mesures plus acceptables?
Absolument, c’est un des facteurs d’acceptabilité. Il y a ainsi des solutions politiquement idéales mais qui se révèlent impossible à mettre en oeuvre car elles ne sont pas acceptables pour la population, ou par un groupe politisé de la population.
Le rapport souligne l’importance de l’éducation. Quel poids a-t-elle face à la publicité?
L’éducation devrait donner à tous des outils pour comprendre la réalité, même à ceux qui ne sont pas intéressés spécifiquement par le sujet. Ces outils aident à comprendre le système, à cerner les problèmes et à se former une opinion concernant des solutions.
Le rapport insiste sur la temporalité des mesures : isoler les bâtiments avant d’installer des pompes à chaleur, réduire la mobilité avant d’électrifier tout le parc automobile. Avez-vous l’impression que l’on va dans la bonne direction ?
J’ai l’impression qu’après le refus de la loi sur le CO2, le gouvernement et les politiciens ont décidé de ne plus trop communiquer sur les mesures exigeant directement des changements de comportement. L’efficacité et la sobriété demandent un changement, un effort, financier ou autre, et cela n’est pas attractif. Et ce n’est pas une façon de gagner des votes. Il est plus facile de dire « j’ai quelque chose à distribuer » plutôt que de dire « vous allez faire un effort ». Mais les grandes infrastructures pour produire l’énergie supplémentaire dont nous aurons besoin sont difficiles à mettre en oeuvre, raison de plus pour se concentrer aussi sur l’efficacité et la sobriété, qui les rendront moins nécessaires.
Finalement, est-il cohérent de maintenir un approvisionnement énergétique suffisant pour notre mode de vie actuel, sachant que c’est justement cette quantité d’énergie qui cause l’essentiel de nos problèmes ?
C’est une question politique. Il y a un conflit entre la personne qui pense que la protection de la nature est plus importante et celle qui dit que notre approvisionnement en énergie est le problème majeur. Notre société doit arbitrer entre ces deux pôles. A la question « est-il possible de produire assez d’énergie sans le fossile et le nucléaire ? » la réponse du rapport est « oui, c’est possible, si on accepte une certaine arbitrage pour la protection de la nature sur certains sites».
Le rapport parle d’une responsabilité historique de la Suisse, pour qui la disponibilité d’énergie bon marché a permis son développement économique. A votre avis, la Suisse devrait-elle être plus ambitieuse que les pays émergents dans cette transition?
Il a un consensus international pour dire que ce sont avant tout les pays dits développés qui sont responsables de notre crise environnementale, et qu’ils en souffrent beaucoup moins que les pays émergents. Dans ce sens, il est cohérent de penser que les pays développés doivent avoir une politique environnementale ambitieuse.
Êtes-vous optimiste?
A cours terme, et du point de vue politique, je ne suis pas trop optimiste. L’être humain est très centré sur une problématique individuelle, et il me semble qu’il faudra plus d’événements graves pour que cela change.
Si je vous dit « décroissance », qu’est-ce que cela vous évoque?
Nous devons au moins y réfléchir, cela pourrait être une partie de la solution.
Cet article est paru dans le journal Sortir du nucléaire