Pierre Boulez aurait, paraît-il, très bien expliqué dans un interview, l’équilibre des paramètres qui rendent une œuvre intelligible ou hermétique, la part de reconnaissable et d’inconnu, de transparent et d’abscons, d’indéchiffrable et de limpide, qui règle l’accessibilité d’une pièce. Si Carlos Bica ne partage certes pas la même esthétique que le compositeur français, ils ont en commun une conscience très aigüe de l’équilibre qui devrait exister entre ce que l’on partage immédiatement avec tous, et ce qui nous projette devant l’inconnu.
Ce que Boulez façonne purement sur la partition, Bica le fait par la partie compositionnelle versus le choix éclairé de ses interprètes. Si les parties de contrebasse et de guitare sont le plus souvent strictement écrites, la part d’interprétation de la batterie est, à proprement parlé, énorme. Et là réside tout le jeu et l’art de ce trio, dans la perfection de ce difficile équilibre à atteindre entre l’écrit et l’interprétation. Qu’en est-il donc de la partition ? Une musique limpide, que Schubert, probablement ne renierait pas, des mélodies magnifiques, simples et équilibrées, que l’on emporte avec soi sans problèmes, à la pause, entre deux sets, ou après le concert, longtemps, sur le chemin qui nous ramène chez nous; des harmonies subtiles, non point exemptes de nœuds, de tensions et de surprises, mais toujours parlantes et pertinentes; une structure et une forme simples, équilibrées, souvent proches de la chanson, de la pop anglo-saxonne ou de la musique populaire portugaise; une rythmique sobre et naturelle, même si elle est, elle aussi, enrichie de surprises et d’asymétries. En face de ce classicisme intelligent, et sensible, certainement la part directement accessible de cette musique, Jim Black dépose son contrepoids de colosse, il dessine les ombres d’un tableau qui lasserait peut-être s’il n’était pas contrasté. Et les mots manquent à décrire cette composante-là. Déconstruction ? Recouvrement ? Traduction ? Illusions auditives ? Fausses pistes ? Éclairage ? Prestidigitation ? Fantasmagorie ? Manipulation ? Illusionnisme ? Trompe-l’oreille ? Rien… et tout… de tout ça, dans chaque mesure, dans chaque son de cette batterie magique et hyperactive. Jim Black serait un réalisateur de génie qui nous forcerait à découvrir dans chaque scène une infinité de lectures différentes, de détails signifiants, de contradictions manifestes, d’absurdités... Ou un clown hilare qui donnerait sa relecture du monde aux enfants ... Ou simplement un enfant qui joue…
Et il faut avouer que l’équilibre global tient magnifiquement, et jusqu’au bout du généreux concert, oscillant parfaitement entre les deux tendances, sauf peut-être lors du premier rappel, le rapport entre l’évidente simplicité et sa non moins évidente déconstruction devenant trop manifeste, et donc caricaturale. La haute qualité des musiciens est pour beaucoup dans cette réussite : une contrebasse faussement lourde car vraiment virtuose, une guitare faussement raide car parfaitement fluide et une batterie que l’on a respectueusement saluée plus haut.
Dimanche 4 octobre 2009 - 20h 30
CARLOS BICA AZUL
Carlos Bica: contrebasse
Frank Möbus: guitare
Jim Black: batterie
Carlos Bica
- Écrit par Yves Massy